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Face à face

  • Photo du rédacteur: Maéli
    Maéli
  • 10 mai 2020
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 janv. 2022

Il est minuit passé. J'ai des valises qui se dessinent sous les yeux et la fatigue qui engourdit mes membres. Je soupire. Je sais que le sommeil ne viendra pas.

J'ai épuisé les réseaux sociaux, enchaîné quelques films sur netflix ; à cette heure-là, c'est silence dans la maison. A cette heure-là, je suis assise en tailleur sous mon lit, et la fenêtre de ma chambre fait miroir avec l'obscurité de l'autre côté.

On se regarde toutes les deux.

Je soupire. J'ai le cœur lourd.

Combien de nuits que je n'ai pas bien dormi ?

Sous mon crâne, il y a des images qui se télescopent. Comme des petits films qui tournent en boucle : des histoires d'amour qui se sont fracassées, des histoires d'amitié qui se sont cassées la gueule du haut des escaliers, des histoires, gardées dans les replis de mon cœur, en espérant pouvoir recoller les morceaux, un jour.

En espérant réparer, vraiment ?

Tout tangue un peu. Le passé, c'est pas le présent. J'ai fait avec ce que j'avais, et si je peux pas faire la paix avec ça, le chagrin qui s'est logé dans mon cœur s'installera définitivement.

Je baisse les yeux. J'ai failli tout éteindre : les lumières, les mots, les émotions et partir dormir comme si de rien n'était. Me laisser attendre Morphée en me tortillant sous la couette, comme si me repasser en boucle les films d'hier et imaginer des scénarios dans le futur pourrait me permettre d'enterrer les armes de la guerre que je mène contre moi-même.

C'est un dernier sursaut qui m'a sauvé de l'anesthésie. J'ai mis la musique qui renverse les tripes et j'ai regardé le miroir en face.

J'ai rêvé de mon premier amour cette nuit. J'ai rêvé de la colère de mes amies de l'époque quand je suis partie sans prévenir sans rien dire, partie pour de bon il y a toutes ces années ; et de son indifférence à lui. Je l'ai peut-être trop aimé pour mon bien, mais j'avais promis de revenir.

On ne s'est jamais retrouvés. Et depuis, je suis la fille qui part mais qui revient. Partir, je sais faire, hein. Revenir aussi. Mais rester ? Si jamais je me noyais à nouveau dans un tel amour, et si jamais je prenais racine au point d'avoir construit un chez-moi et qu'il fallait partir ?

J'ai ouvert la porte du grenier et les étagères s’effondrent et les coffres s'ouvrent et la poussière s'envole. Quand l'un des disques s'arrête, c'est une autre histoire qui démarre. Une amitié fusionnelle terminée dans le caniveau, un amour que j'ai quitté, un ami qui m'a trop aimé...

Les dossiers volent et je me prends la peinture en pleine face. Quand je regarde le passé, comme ça, vu de haut, c'est sûr que j'ai parfois perdu pieds, parfois perdu de vue l'essentiel ; d'autres, j'ai suivi mon cœur, parfois maladroitement.

Mais le miroir est clair là-dessus : aujourd'hui c'est entre moi et moi.

Les personnages de mes histoires ont continué d'avancer, ils ont écrit de nouveau chapitre, à moi de décider de rester pencher sur ceux-ci ou pas. Je fixe la vitre et j'ai dans mon regard un océan dont je ne sais que faire, je suis désemparée et oh, que je suis triste. Triste et fatiguée de la route que j'ai parcouru.

C'est dans ce tête à tête qu'apparaissent les valises de souvenirs, les sacs remplis de questions et d'envie de réparer et les boulets de chagrin que je porte depuis tout ce temps.

Mon reflet hausse les sourcils, comme pour me dire tu veux pas laisser tout ça dans une gare, à la croisée des chemins ? Tu veux pas les laisser sur le quai et prendre un train ?

Avec tout ça en moins, tu pourras peut-être même voler.

On s'observe dans le silence et j'aimerais bien lui dire, oui, mais comment ? Sans mes compagnons, j'aurais froid et je serais seule, n'est-ce pas ?

Des amis dans le passé, ça reste des amis ? Et l'espoir de tout réparer dans tout ça ?

Un nuage passe.

C'est toi qui vois.

Je ricane, ouais, et que ça me sort le coup de "c'est toi qui vois si ça t'a réussi jusque là". Je ricane, amère et mon cœur plonge encore un peu plus bas. J'ai les yeux secs, le chagrin ne trouve pas la sortie et la seule solution que cette partie de moi me propose, c'est de lâcher l'affaire avec tout ça.

Ouais, carrément. De lâcher l'affaire. De panser enfin tes blessures, de sortir de tes cercles vicieux, d'arrêter de te morfondre. De partir avec un cœur neuf et léger. Tu pourras pas retrouver le passé pour tout réparer, parce que la seule chose qui s'est vraiment fêlée dans l'affaire, c'est toi-même.

Alors lève tes fesses et lâche tes fantômes. Ceux que t'as aimés aiment à nouveau. Ces histoires qui se sont cassées la gueule dans les escaliers sont que des expériences, alors relève ce menton, rêve à nouveau ; rêve, le cœur tourné vers l'avenir et ses merveilles. Laisse ton chagrin nourrir des rivières, traverser la Terre et abreuver le monde d'amour. Laisse-le partir.

Sors de derrière tes DVD et tes nostalgies, des histoires y en a beaucoup, mais toi tu t'occupes de la tienne ; t'es pas là pour réparer le monde. Tout est juste. Viens, écrire des nouveaux chapitres, viens faire de la place à de nouvelles histoires, viens, aimer ceux que tu aimes au présent.

Sinon ces histoires-là finiront aussi par s'entasser dans ton grenier.

Je souris du bout du lèvres. J'inspire et j'expire. En plein dans le mile, mon reflet. Si je fumais, c'est le moment que je choisirais pour inspirer la nicotine et expirer, en créant un nuage de fumée devant mon visage. Et je lui répondrais, à cette apparence de moi-même, avec un air détaché feint.

Ah oui, il est beau ton roman. Et on fait comment pour "laisser ce chagrin et ces histoires sur le quai de la gare" ? Tu crois tout de même pas que je me suis trimballée tout ça pour le plaisir ?

Si les miroirs pouvaient soupirer... Mon reflet a haussé les sourcils.

Tu rigoles, j'espère. C'est toi qui porte les valises et je dois t'apprendre à les déposer sur le sol ? Mais ma vieille, tu crois quand même pas que je suis responsable de tes choix ?

Bah oui, peut-être que t'es tellement habituée à la souffrance et à l'auto-culpabilisation que t'as rien vu, peut-être que les bagages ça s'entasse dans le coffre et qu'on se rend compte du nombre de valises qu'on se balade que parce qu'un jour la voiture cesse d'avancer et qu'il faut marcher à pied, peut-être que t'as juste peur de l'avenir et que tu te raccroches au passé, peut-être que t'es tellement dure avec toi-même et que t'as peur de l'image que tu renvoies qu'il faudrait changer chaque phrase qui pourrait être mal interprétée, chaque instant d'imperfection...

Te fatigue pas, y a des tas de raisons pour s'enchaîner.

Te fatigue pas, tu peux toujours décider d'arrêter la machine.

Y a pas de sortilège pour ça, y a personne qu'est parfait ou qui satisfera tout le monde. T'es pas responsable de tout ça, tu sais, toi, tu gères ce que tu donnes et l'intention qui porte ton message, mais pas la réception. Tu peux pas être sur tous les fronts.

Confie-moi tes fardeaux, l'Univers s'occupe du reste.

Et suis-ton cœur, c'est ta boussole et ton étoile polaire. Lui, il laisse pas de place aux valises dans le coffre. Liberté.

Et aime-toi. C'est pas forcément facile, mais c'est un cadeau extraordinaire à se faire. Ce sera ton anniversaire tous les jours, trésors.

J'avais tellement de choses à te dire que j'en avais presque oublié l'essentiel. La formule magique pour déposer bagages, elle est toute simple. Pardonne-toi.

Oui, tu m'as entendu. Pardonne-toi, encore et encore et tu seras libre.


Je t'aime.


Cette nuit, je dormirais enfin apaisée.



Maéli

 
 
 

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