La climatisation remplit la pièce d'un air froid, si froid que j'en frissonne. je me couvre les épaules de mon châle et reviens à mon travail.
A peine ai-je fixé mon attention sur la tâche que j'accomplissais que le va et vient d'un collègue dans mon champ de vision périphérique m'interrompt. Je ne résiste pas à la tentation de me tourner vers lui.
Il a l'air de chercher à parler.
Alors, sans faire des raccourcis, je lui pose cette question qui vient parfois sonner à ma porte intérieure quand je vois le monde autour de moi:
"Penses-tu qu'il y aura une seconde révolution ?"
Penses-tu qu'il y aura un moment où cela deviendra à nouveau "trop", que les gens se lèveront à nouveau ensemble pour dire stop, qu'il y aura un point qui fera basculer tout cela ?
Je lui épargne la cascade d'interrogations, mais il comprend que je lui parle de ce drame dans lequel nous évoluons tous les jours.
"Non, je n'y crois pas. Une fois mais pas deux."
Une pensée me traverse et passe la barrière de mes lèvres sans que je n'y songe. "Ils sont trop occupés à survivre."
"Exactement."
Il prend appui sur le bureau qui est derrière lui et croise les bras. Mon regard croise le sien et je lui demande:
"Et tu penses que ça peux continuer combien de temps ?"
Ses paupières se ferment une demi seconde de que d'habitude. Il remet ses lunettes en place en appuyant doucement sur la monture, la tête baissée. Il me regarde à nouveau:
"Aussi longtemps que nos politiciens n'auront pas trouvé de solutions aux différents taux de change avec le dollar."
J'écarquille les yeux. Je pense à la confusion autour du taux de change, aux millions de livres que j'ai dans mon sac après avoir changé 100 dollars alors qu'internet m'affiche que mes 100 dollars ne valent que quelques centaines milliers de livres libanaises.
"Tant que les deux taux ne feront qu'un ?"
"Non, les cinq taux. Il y a tout d'abord le taux officiel, où un dollar vaut 1 500 livres libanaises. Le taux des banques où un dollar vaut 8 000 livres libanaises. Puis, le taux sayrafa où un dollar équivaut à 24 000 livres libanaises ; les entreprises utilisent ce taux quand elles ont besoin que la banque leur prête des dollars pour importer des produits de l'étranger. Les OMT ont aussi leur taux propre. Enfin, le taux du marché noir qui varie tous les jours et dont nous ne pouvons prévoir le cours. Aujourd'hui, il est de 29 000 livres libanaises pour 1 dollar.
-Et pour ce qui est des bureaux de change ?
Il tripote sa montre et hausse les épaules.
-C'est le même que le marché noir."
PS: A tous ceux qui comptent voyager au Liban, surtout ne changez pas d'argent avant votre départ, on vous changerait votre argent au taux officiel et vous perdriez tout votre argent...
Et ne comptez pas sur la carte bancaire, elle n'est plus acceptée. Et dans le cas où elle le serait, votre argent serait aussi changé au taux officiel.