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Sécheresse et arganiers

Dernière mise à jour : 17 avr. 2023

Semaine 6. Azarghnis.


La voiture roule à une vitesse déraisonnable sur la route qui semble ne pas finir. J’ai les paupières qui tombent. Je voudrais dormir, mais je n’y arrive pas. Elle ralentit brusquement et je jette un coup d’oeil à travers le pare-brise. Des dromadaires.

Ils ont le pelage marron, c’est la première fois que j’en vois de couleur aussi foncée. Ils sont des dizaines, à droite, à gauche, sur la route. Ils mangent paisiblement ou sont assis. Mon regard se pose sur une maman et son petit.

Ça faisait quelques semaines que je n’en avais pas vu.

Je suis surprise par la grandeur du troupeau. Nous roulons plusieurs minutes à leurs côtés. On doit même faire un léger écart sur la route pour en éviter un.

Sous leurs pieds, la terre est sèche et elle danse de manière invisible dans une légère brise. Le temps s’est refroidi depuis lundi. Hier, il a même plu quelques gouttes. C’est chose rare, ici. Je revois encore l’étonnement des passants et ces deux hommes dans le souk qui ont levé les mains en criant avec joie que Dieu était le plus grand.

Aujourd’hui, les nuages semblent avoir avalé la montagne. Les arganiers sont les seules traces de végétation (hormis quelques buissons épineux épars) que nous voyons depuis presque une heure. Ils poussent dans le sol aride ou à même la roche. Leur feuillage est parsemé de fruits d’un vert éclatant.

Je les regarde et mes pensées s'égarent. Certains d’entre eux n’ont pas de feuillage, rien. Ils ne semblent être que des troncs et des branches entremêlées et nues. Décharnés. Je me demande s’ils sont morts. Je me demande s’il y a une chance que l’année prochaine, ils soient à nouveau recouvert de leur parure verte. Je me demande s’il est trop tard pour eux, si la sécheresse et la venue des dromadaires et des chèvres en plus grand nombre a eu raison d’eux. Je pense à leurs racines, profondes dans le sol.

Je pense à ces arbres qui ne poussent que dans un seul pays au monde, à ces arbres qui sont le dernier rempart de la région contre l’avancée du désert et l’érosion et la principale ressource économique de milliers de foyers.

Je pense à ces femmes que nous avons rencontrées plus tôt dans la journée. Elles étaient une dizaine à avoir répondu à l’invitation du maire. Des femmes berbères, parées de leur voile, de leurs jupes longues et des tenues qui, pour un oeil avisé, sauraient indiquer leur appartenance à ce village.

Des femmes qui faisaient des tapis magnifiques et dont le savoir commence à se perdre, car il n’est pas transmis. Des femmes qui faisaient aussi des dessus de lit, mais maintenant qu’on n’en trouve pleins dans le souk, ont arrêté d’en faire. Des femmes qui avaient toujours eu une activité intense, mais qui ont vu la fin de l’agriculture à cause du changement climatique et de la sécheresse.

Il ne leur reste plus que l’élevage.

Cela suffit-il pour vivre ?

Non, le village se vide. Certains départs sont définitifs. Les enfants partent en ville et envoient de l’argent. Une mère avait dix enfants, ils sont tous partis. L’école du village a fermé.

La voiture roule toujours aussi vite et je pense tellement vite que j’en ai mal à la tête. J’ai faim et soif, mais c’est le Ramadan et je ne suis pas seule dans la voiture.

Je pense à ces femmes, à ces enfants, à ce monde qui change. Il est temps de se retrousser les manches pour avoir voix au chapitre dans le dessin de nos lendemains.


PS: Photo d'un arganier prise à Arazane.


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