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Plus d'eau

Il fait nuit sur Beyrouth et l'on n'entend plus que le bruit sourd des générateurs, le bruit intermittent des moteurs de motos ou de voitures, le bruit lointains des pétards.

Tes affaires sont étalées partout sur le lit et tu te prépares à partir.

Et je ne suis pas prête à te laisser partir à partir non plus et il vaudrait mieux que tu partes et je veux prendre la fuite et faire un pas chassé au-dessus de ses derniers jours et m'envoler et pourtant je souhaiterais dire au revoir et faire toutes ses choses qui ont animé mes précédents mois une dernière fois.

Un des néons qui fonctionnait à l'électricité solaire a pété. Il ne nous reste de la lumière qu'au-dessus du lit. Une bougie se consume sur la table du salon.

Il fait chaud. L'air nous parvient par la fenêtre.

Hier soir, tu m'as dit qu'il n'y avait plus d'eau dans la douche et ce matin nous avons découvert qu'il n'y avait plus d'eau tout court. Plus d'eau courante.

Il fait chaud mais je ne sais pas comment je vais m'y prendre pour rincer la sueur que mon corps émet par vagues.

Tu remplis ton sac et je ne suis pas sûre de vouloir penser à la suite.

Il y a une image qui est figée sous mon crâne et qui me revient parfois, celle d'ouvrir le robinet et de ne voir que quelques gouttes en sortir. C'était de l'eau non potable, mais de l'eau.

Plus d'eau. Plus d'eau pour les toilettes, pour la douche, pour l'hygiène, pour la vaisselle. Plus d'eau. Peut-être que mes neurones sont coincés.

Peut-être que c'est le monde qui tourne à l'envers et qu'il va s'en remettre rapidement.

On a acheté des litres et des litres de bouteilles pour pallier au problème. Ça fait un moment que j'ai revu à la baisse mes ambitions de zéro déchet. Ici, c'est le festival du plastique.

J'ai contacté le propriétaire qui m'a dit qu'il n'y a plus d'électricité pour pomper l'eau. Je cesse de respirer.

Je n'ai personne vers qui me tourner pour lui demander combien de temps ça va durer.

Et je me dis parfois qu'on a vraiment construit un monde qui repose sur l'énergie. Il suffit qu'une turbine s'arrête de tourner, qu'un bateau reste coincé dans un canal, qu'un grain de sable se mette dans les rouages et tout s'arrête -est-ce qu'on est vraiment tant dans une bulle que ça ?

La vie ordinaire devenue confort ou luxe.

Appuyer sur un bouton pour avoir de la lumière, tirer la chasse d'eau et avoir de l'eau potable pour envoyer sa merde on ne sait où, jeter sa boîte en carton pour la retrouver sur des rivières au bout du monde ou dans des usines qui en feront du papier recyclé pour nos cahiers. Avoir des poubelles, des bus, des prix écrits et tant de petites choses qui s'alignent dans nos vies.

Non, vraiment. Je repense à ce robinet et je me questionne.

On nous parle sans cesse de drame et de catastrophe écologique et je me dis et si ça arrivait chez moi ?

on n'est vraiment pas prêts.

Et si, même mon passeport, ma nationalité, ces quelques lettres privilèges ne me donnaient même plus le luxe de rentrer dans ces pays où l'on appuie sur un bouton et l'on a de l'électricité, où l'on boit l'eau du robinet et jette le papier des toilettes dans la cuvette ?

Et si, à ignorer nos voisins on se réservait le même destin ?


Je me sens dans un entre deux, avec tant de questions et de calme à l'intérieur. C'est vraiment un sentiment étrange, empli de ce "et si ?".



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Arazane

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