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Parmi les femmes

Arazane.


C’est le 2e jour de mon immersion dans la coopérative avec les femmes. Je partage leurs journées. Elles me montrent et m’expliquent ce qu’elles font.

Elles s’assoient souvent pour parler autour de la table à l’entrée de la coopérative. Elles parlent des examens qui ont lieu en ce moment, des potins du village, de moi. Elles essaient de me marier à leurs enfants.

Celle qui m’accueille le soir est souvent celle qui parle le plus fort dans ces conversations.

Je ne sais pas trop où me mettre dans ces moments-là. J’ai beau expliquer que je ne pense pas au mariage, ça doit être si étranger, cette idée que c’est comme si je ne m’exprimais pas.

Ou alors, les femmes sont habituées à être invisibles.

L’une d’entre elles me dit que la loi d’ici ne protège pas les femmes seules. Et si le mariage était la condition sine qua non pour exister aux yeux de la société et de la loi ?

Tant de pensées me traversent. Les liens se nouent, les méfiances tombent. J’apprends et comme toujours, je me questionne.

Les femmes ont toute une panoplie de savoir faire : le khôl, l'huile d'argan, l'huile d'amande, la préparation du couscous, l'amlou, cette pâte à tartiner berbère faite d'un mélange d'huile d'argan et d'amandes broyées, la broderie, le tapis.

Je les vois passer une demie-journée pour remplir une bouteille d'huile d'argan pour ensuite, danser la ahwash au son des tambours et des chants en arabe. Je danse avec elles et je me laisse emporter par la rivière de leur quotidien.

Et je me questionne.

Sur l’éthique de mon travail, sur ma posture, sur l’avenir, sur le sens des évènements ; sur le fait que l’on n’échappe pas à nos racines.

Les femmes m’ont emmenée faire une balade dans la forêt d’arganiers, jusqu’aux champs de pastèques. C’était étrange de passer devant les orangers morts « car il n’y a plus d’eau » pour arriver à ces étendues immenses couvertes de pieds de pastèques et subdivisées à l’aide de haies constituées de pieds de maïs. Car il y a de l’eau, là.

Jusqu’à quand ?

La forêt d’arganier, ce sont des arbres dispersés sur un sol poussiéreux et caillouteux. Ce sont des arbres dont les fruits se raréfient. Certains sont verts, d’autres ont déjà commencé à jaunir et à tomber. On les récolte une fois sur le sol.

Le sol de cette forêt est jonché de plastiques, notamment de ceux utilisés dans l’agriculture et je me demande ce qu’on en fait, de tout ce plastique, de l’autre côté de la Méditerranée. Ici, le vent emporte tout et la végétation est souvent armée de pics qui retiennent les déchets. Ils flottent au vent, ils se décolorent et se fondent dans ce décor ocre.

Les femmes rigolent et m’emmènent sur les chemins de poussières. Elles sont recouvertes de leur milfa, ce grand tissu avec laquelle elles s'habillent de manière si particulière. Il fait robe, voile sur la tête et vient même parfois cacher la bouche.

Je me dis que ces femmes appartiennent à cet endroit. Elles s'y fondent, elles en constituent une partie. C'est à croire que l'environnement dans lequel on vit est un élément organique avec lequel nous interagissons de manière silencieuse et inconsciente. L'endroit où l'on naît, où l'on s’enracine, où l'on grandit, vient imprégner l'essence de qui nous sommes dans un mouvement à double sens. Et où que l'on aille, on emmène avec nous cette senteur ineffable.

Je suis toujours l’étrangère.

De manière évidente.

Souvent, les femmes me proposent de m’habiller comme elles, ici ou dans la vallée. J’accepte, toujours inconfortable à l’idée de cette session de « déguisement », en apparence anodine. Les regards changent quand j’entre dans la pièce, recouvertes des tissus, des couleurs, des voiles et parfois des bijoux de la région.

Je deviens une femme, aux yeux des hommes. Je ne suis plus cet être à part qui est « hors des cases ».

Aux yeux des femmes, je deviens l’une d’entre elles. Nous nous ressemblons. Ma différence s’efface.

Parfois, ça m’effraie. J’ai peur qu’on finisse par croire que c’est vrai, que je suis pareille et qu’on oublie que je viens d’ailleurs, que je porte en moi des espoirs et des rêves bien différents des leurs, que tout ceci n’est que momentané.

J’ai peur d’oublier qui je suis d’où je viens, que de m’immerger ainsi dans cet environnement, je finisse par m’y noyer.

J’ai peur de me perdre dans leur réalité.


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