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En haut du monde

A mesure que la voiture serpente le long de la montagne, nos yeux s'écarquillent, remplis d'émerveillement. Nous passons devant une roche bleue, mise à nu et je me demande quels sont les mystères de ses couleurs. Tu t'arrêtes sur le bas côté pour prendre une photo. La vallée s'étend devant nos yeux. Les nuages dansent sur la couleur jaunie qu'elle a prises avec la venue de l'été.

La route est goudronnée depuis peu. Des gros insectes qui ressemblent à un croisement entre des scarabées géants et des araignées traversent la route. Notre accompagnateur les appelle wagnim en berbère. Il paraît qu'elles sortent qu'à la saison chaude.

Nous reprenons la route et il faut à peine quelques minutes pour qu'apparaisse le grenier collectif que nous sommes venus voir, Tagadirt N'Tazrout. D'en bas, on dirait une forteresse perchée sur un rocher. Les murs sont bas et sont de la même couleur que la roche.

On aperçoit des ânes à travers un grillages.

En montant à pied, on remonte aussi le temps.

Le vent souffle. J'avais oublié à quel point il faisait frais là-haut. Tu me prêtes ton manteau parce que ça ne se fait pas trop, ici, qu'un garçon laisse une fille avoir froid comme ça et que notre accompagnateur insiste un peu pour que tu le fasses. J'accepte sans faire d'histoires.

La vue est à coupe le souffle.

D'un côté, la vallée qui semble s'étendre à l'infini. De l'autre, un village sur un plateau avec ses aires de battage du blé, de grands cercles et les fantômes de ses terrasses agricoles abandonnées avec les sécheresses successives.

Le gardien du grenier nous rejoint pour nous montrer la voie. Le monument tombe se dégrade et on espère pouvoir le faire aménager et rénover. On pénètre dans la forteresse de pierre, postée sur son rocher pour des questions défensives et climatiques. Il fait froid toute l'année. Il semblerait qu'on peut conserver le blé jusqu'à dix ans.

Il nous guide dans les éboulis et les chemins. Les chambres, construites en pierres sont en cercle autour d'un noyau central dont le toit est couvert. Il s'agit d'un vrai bijou architectural.

Il y avait 403 chambres, mais aujourd'hui, seules 20 sont utilisées. On y stockait tout : les bijoux, la nourriture et le blé. Tu me dis que les Igoudars* sont les ancêtres de nos banques occidentales.

Aujourd'hui, la sécheresse et l'exode rural ont entraîné l'abandon d'une grande partie du grenier. Un homme passe nous dire bonjour, il vient rénover sa chambre avant les précipitations.

En haut du monde, dans une faille dans le temps, il existe encore ces hommes qui vivent avec les saisons et qui travaillent avec les ânes.

Ce sont deux hommes âgés qui nous parlent de cet endroit, typique du sud marocain. Le gardien est encore payé en blé, par un système qu'on appelle le la3boud. Ça fait 13 kilos de blé par an par chambre utilisée.

Ça a l'air irréel, mais ce monsieur est bien là, avec ses cheveux grisonnants et son sweatshirt vert. Nous avons fait une boucle et nous nous retrouvons vers l'entrée, là où l'on trouve l'ancienne chambre du gardien et l'ancien espace d'accueil. La porte en fer est ouverte et je suppose que la nuit tombée, il la ferme pour protéger le lieu.

Il habite à l'extérieur du grenier avec l'ensemble de sa famille. Il nous serre un verre de thé au safran avant que nous partions. Le vent souffle fort. Je savoure ce thé chaud aux saveurs florales sur ma langue avant de prendre la route, descendre la montagne et retrouver notre époque si paradoxale.




* Agadir (n. sg masc), Tagadirt (n. sg. f), Igoudars (n. pl) : grenier collectif en berbère


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