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Le temps file

L'eau coule sur ma peau. Elle est censée être froide mais je sens à peine la différence de température.

Je suis brûlante. Il fait chaud depuis plusieurs jours. 37, 38 et plus. Même température à l'extérieur que celle de mon corps. La folie.

Mon appart' s'est transformé en four. Les rues sont vides entre 13h et 17h, certains horaires ont encore changé depuis l'Aïd et j'essaie de m'y faire.

Le ciel est bleu tous les jours. C'est fou l'effet que ça peut avoir sur la santé, un ciel dégagé et un soleil qui brille. J'ai à peine mis les pieds dehors que je transpire. Je suis une glace entrain de fondre en permanence. Un jour, si on retrouve une flaque d'eau là où j'étais, on sera ce qui me sera arrivé.

Les jours se télescopent. Je danse la ahwash, cette danse berbère, sous un Barnum, je fais des youyous dans des bâtiments en béton pour célébrer la force de la communauté, je tape des rapports, encore et encore, je passe des coups de fil, nous prenons la voiture, parfois pour rouler des heures.

Je sens mon coeur battre.

Le temps file par la fenêtre. Il semble s'accélérer et j'aimerais lui dire, s'il te plaît, prends ton temps, tout n'arrive qu'une fois et j'aimerais tellement en profiter autant que possible. J'aimerais qu'il me rappelle sans cesse que c'est peut-être la dernière fois et que je n'oublie pas de vivre pleinement cet instant.

Les choses changent si vite. Je n'ai pas revu un de mes amis du début depuis quatre mois, il s'use à l'usine, à travailler six jours sur sept, quarante heures par semaine, avec un jour de repos non fixe et des horaires de nuit ou de jours en fonction des semaines. J'ai l'impression que cette expérience le passe au rouleau compresseur.

J'ai fini par arrêter de lutter. Je ne lui demande plus si on se reverra, je ne sous entend pas qu'il y aurait peut-être un autre choix. Je me contente de lui demander comment ça va.

Un autre a trouvé un super travail pour un an. Je le vois sur les réseaux sociaux, partager ses aventures et je suis rassurée, je me dis que certains sortent leur épingle du jeu. Ils me disent que ça ne va pas durer, que c'est juste pour un an, que c'est une exception. Je ne suis pas sûre qu'ils croient avoir une chance de décider de leur destin.

Je m'enquiers d'un autre qui m'avait dit qu'il partirait au mois d'août. Mon coeur était tombé dans la salade qu'il nous avait servi. C'était son père, tout fier, qui nous l'avait dit. Il avait assuré que vous aussi, vous partiriez. Il avait répété plusieurs fois que tous les garçons partiraient de l'autre côté de la Méditerranée, qu'il n'y avait pas de futur pour eux, ici.

Tu me dis qu'il est déjà parti qu'il est en Turquie et tu me montres même la photo de lui devant la mosquée Sainte Sophie et je sens le respect que tu as pour lui. Cette photo est postée sur les réseaux sociaux. Tout son entourage sait qu'il entreprend un voyage dangereux pour un futur qu'il imagine plus brillant.

Tout le monde sait qu'il ne s'agit pas d'un voyage touristique.

Je déglutis.

C'était censé être au mois d'août. Je pensais pouvoir lui dire au revoir. D'un coup, c'est un peu précipité.

Je sais que sa personne fait l'objet de dissertations, de colloques, de statistiques et d'études en tout genre. Je sais que sur certains rapports, il ne sera qu'un chiffre. J'espère que son histoire l'emmènera au-delà de ses rêves.

Je sais que dans sa religion on a des prières pour les voyageurs et je déposerais la mienne dans le silence de mon monde intérieur.

Il y aura une bougie allumée pour toi, quelque part

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Arazane

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