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Des femmes analphabètes qui tissent nos lendemains

Semaine... combien, déjà ?, Fès


Les jours se bousculent. Le soleil chauffe sur nos têtes. Les stands du souk font leurs apparitions, devant une des anciennes portes de la ville. Une femme nourrit une quinzaine de bébés chats à côté de ses oignons.

L'allée entre les étals devient progressivement couverte. Je zigzague entre les passants et tu me guides, ton téléphone à la main. On ne sait pas trop où l'on va et l'on commence à se demander si ce que l'on cherche se trouve vraiment dans ce vieux souk.

On s'engouffre dans le souk couvert et l'on passe devant des ryads, des agences de voyages, des épiceries, des légumes et les boucheries se multiplient.

Je frissonne et je baisse les yeux. L'odeur de sang et de chair emplit la ruelle. Je te dis de me prévenir quand je pourrais à nouveau regarder la rue et non plus mes pieds.

Je me bouche le nez et je résiste à la tentation de regarder. Je voudrais découvrir le monde qui m'entoure mais il ne se posera que sur des carcasses d'animaux morts, attendant l'heure de passer sur le feu. Tu me dis qu'il ne reste que deux minutes et on se regarde, un peu angoissés. Comment cette coopérative de tapis, qui met en lien les artisans avec les personnes qui souhaitent les acheter directement, qui défend des valeurs fortes et qui forme d'autres coopératives pour améliorer leurs productions, peut-elle se trouver au milieu d'une partie du souk réservée à la boucherie ?

Mais, tu t'arrêtes sous une plaque bleue qui annonce "The Anou" et qui nous dit de tourner à gauche pour s'engouffrer dans une impasse étroite. Je ne sais pas si je suis rassurée ou plus angoissée encore.

On se regarde. On y va.

Je me demande si ce n'est pas un piège à touristes et si on ne va pas se faire détrousser. On atteint le bout de l'impasse, avec à droite une cuisine et à gauche une porte en bois qui doit dater de plusieurs siècles. Il y a des fissures qui permettent de voir un peu à travers. On retrouve le même panneau bleu, alors ça doit être là, n'est-ce pas ?

J'appelle et on nous ouvre. Les femmes finissaient de prendre le petit déjeuner. C'est un petit dédale qui nous amène dans la cour d'un Ryad. J'écarquille les yeux, émerveillées. Sur un mur, des étagères de pelotes multicolores. Dans des alcôves, des tapis artisanaux, des sacs en cuir, des métiers à tisser sont disposés.

On s'assoit sur une table devant le mur multicolore et on découvre la vie d'une femme analphabète car elle a quitté l'école avant le bac, qui est membre fondatrice d'une coopérative d'artisan, qui vit de son métier et qui forme d'autres femmes. Elle ne sait peut-être pas lire et écrire, mais elle parle anglais et français, en plus du bilinguisme des gens de sa région qui parlent le dialecte marocain et la langue Amazigh (berbère).

Il n'y avait pas internet dans son village quand ils ont lancé ce projet et cette marketplace. Et la voilà, à Fes, à vendre les tapis qu'elle fait, à former d'autres femmes et à nous toucher en plein coeur par ce parcours rempli de courage qu'elle décrit comme un passage d'une forme d'obscurité à la lumière.

Nous visitons les étages supérieurs et nous découvrons, sur le toit, l'espace dédié à la coloration naturelle de la laine qui est vendue au rez-de-chaussée. On découvre des étagères de bocaux remplis de pommes de pain, de branchages et autres ingrédients qui serviront à faire la teinture dans des fûts sur le sol. La femme qui s'active à teinter la laine en bleu s'arrête et nous montre le logiciel qui a été crée pour que des femmes analphabètes puissent faire les couleurs elles-mêmes. Les laines colorées sèchent, attachés sur des fils tendus sur le toit.

Notre coeur et nos yeux sont remplis de la force et de la conviction qui anime ses femmes. Je me dis que le monde entier devrait entendre parler de vous.

Alors, on te filme pour que tu puisses t'adresser à d'autres femmes berbères dans leur langue au sujet de cette coopérative, de ce qu'elle a changé dans ta vie et on manque de pleurer tellement c'est touchant et fort.

Je ne parle pas berbère, mais j'ai compris et tu as touché mon .

Quelle force.



PS : voici la coopérative : https://www.theanou.com/themarketplace


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