Une voiture passe. Puis une autre. Il n’y a pas vraiment de trottoir -ou alors il est occupé par toutes sortes d’obstacles : des scooters ou des voitures garés, des vieux fauteuils défoncés, des arbres, des hommes d’un âge avancés qui ont pris position devant leur commerce.
Ils ont souvent une chaise de jardin et se préparent à une journée. Il y en a un qui boit son café tous les matins, au milieu du trottoir. Il y en a un autre qui a élu une place de choix sous un arbre. Il a une vue imprenable sur son échoppe qui s’étend sur la rue.
Mais bref, l’idée est que le trottoir est un espace commun et trop étroit pour les utilisations qu’on peut en avoir.
Alors, la route aussi devient un espace qui appartient aussi bien aux piétons qu’aux voitures (la rue est à la fois un parking, à la fois un espace de déplacement). La route est souvent défoncée, alors conduire implique de maîtriser l’art du slalom.
Peut-être qu’il y a aussi une compétition qui consiste savoir avec quelle proximité une voiture peut rouler par rapport aux passagers.
Avec une quasi-absence de transports en commun, la voiture, c’est vraiment quelque chose qu’il faut posséder si on veut se sentir un peu indépendant. Et il y a de tout : des carcasses ambulantes, des petites voitures qui datent de mathusalem mais qui tiennent encore la route et des bolides tellement énormes qu’on dirait qu’ils ont été pensés pour … Des voitures si imposantes et rutilantes qu’on ne peut que lire le message qu’elles envoient : je suis riche, je brille tellement que je t’éblouis et si tu es sur mon chemin, je peux t’écraser d’une pression d’orteil -bon, ça c’est ma projection, mais j’aime bien accélérer avec le gros orteil plutôt qu’avec les pieds.
Et puis, il y a toutes carcasses garées dans la rue : plus de vitre, capot défoncé, c’est toute une galerie.
J’aime à penser que la voiture que nous avons en dit long sur nous ; que la manière dont nous conduisons en dit long sur la manière dont nous abordons la vie.
J’ose espérer que les propriétaires des voitures défoncées ne sont pas eux aussi si abimés qu’ils attendent sur le bord de la route la fin de quelque chose ou le début d’une autre chose.
Il y a aussi les scooters de ceux qui veulent éviter les embouteillages monstres que connaissent certaines artères. Ils économisent aussi le gasoil dont le prix ne cesse d’augmenter.
Par intermittence, il arrive que les files s’allongent dans les stations à essence si bien que la rue devient un espace où l’on fait la queue. Dans ces moments, la tension monte et certains ne peuvent venir au travail car ils ne peuvent faire le plein.
Faire le plein. Qu’elle expression dépassée. Puisque l’essence est une denrée rationnée, faire le plein est un luxe qui n’est pas à la portée de tous.
C’est, dans ces periodes où l’essence vient à manquer, que l’on regarde avec angoisse le voyant de la voiture s’allumer car on ne sait pas avec certitude si les stations à essence seront ouvertes. Un petit plot rouge mis là où la voiture est censée se garer signale au conducteur qu’il peut aller à la prochaine station.
Dans tous les cas, ici on ne remplit pas soi-même son réservoir et les employés des stations vous font signe que ce ne sera pas pour aujourd’hui.
Dans les pics de crise, on m’a raconté que les gens garaient leur voiture le soir dans la queue pour aller à la station et revenaient vers 6h se mettre au volant de leur véhicule. Pour un peu d’essence.
Parfois, je me demande si ce monde n’a pas pris le manuel à l’envers. On travaille pour vivre mais travailler nous coûte tellement qu’il reste si peu d’espace pour vivre vraiment.
Comments